2006
Ampoules et câbles électriques, 370 x 500 x 10 cm.
Collection MAC/VAL, musée d’art contemporain
du
Val-de-Marne.
Acquis avec la participation
du FRAM Île-de-France.
Photo © Jacques Faujour.
Notice
Jean-Luc Vilmouth caractérise la scène artistique de sa présence singulière, relevant les réflexes et les dysfonctionnements du monde, proposant de nouvelles formes de convivialité et de relations. Il rejoint au début des années 1980 les artistes de la nouvelle sculpture anglaise et s’empare comme eux de l’univers des objets, qui deviennent son vocabulaire formel.
Il se dit « l’ami des objets », leur « augmentateur », et leur confère un réel pouvoir. C’est par leur truchement et un rapport distancié au quotidien qu’il en révèle l’essence, créant des situations inattendues et intrigantes dans l’espace public pour mieux l’interroger et le mettre en doute. La nature est aussi un des sujets de son œuvre : une nature qui s’artificialise et qui entretient avec le genre humain des rapports de force.
La distance au monde que maintient Jean-Luc Vilmouth est pour autant composée d’une grande attention. Il parcourt régulièrement la planète, seul ou invité à intervenir ailleurs, afin d’en nourrir sa vision critique.
White Building est issu de voyages au Cambodge durant l’année 2005. Invité à Phnom-Penh, Jean-Luc Vilmouth a été saisi par l’existence d’un bâtiment qu’un assistant de Le Corbusier, l’architecte cambodgien Vann Molyvann, a construit dans les années 1960 sur le modèle de l’utopie de la Cité radieuse, projet européen et fonctionnaliste qu’il importe dans un bidonville.
Les habitants se sont installés dans ce bâtiment, bien qu’inachevé, et l’ont transformé. La vie a repris le dessus, comme les usages locaux. L’ensemble White Building, montré lors du deuxième accrochage du MAC/VAL consacré à la question de la présence au monde (2007-2008), est composé de trois pièces, dont seule The Name est aujourd’hui exposée, constituant un souvenir de l’exposition précédente comme de l’œuvre dans sa globalité. Celle-ci dresse le constat implacable d’une utopie architecturale et sociale abandonnée face aux changements politiques et à la nécessité du quotidien, dont il ne reste plus que les ruines.
La beauté de cette pièce surgit de cette distorsion entre projet et réalité : installation d’objets, de dessins et de ce nom en lumière dont les fils sur le mur rappellent la précarité des installations électriques mais aussi la ramification des projets, de la vie en devenir.
L’enseigne lumineuse ravive aujourd’hui la mémoire de l’œuvre comme celle des utopies qui continuent d’éclairer la vie. Souvent déçues, parfois oubliées, elles n’en restent pas moins un phare pour l’avenir.
A.F.
C’est pas beau de critiquer ?
Carte blanche au critique d’art qui nous offre un texte personnel, subjectif, amusé, distancié, poétique… critique sur l’œuvre de son choix dans la collection du MAC/VAL.
C’est pas beau de critiquer ? Une collection de « commentaires » en partenariat avec l’AICA / Association Internationale des Critiques d’Art.
The White Building : écologie du bidonville Pour s’y rendre, il suffit de dire : « White Building ! » à l’un des innombrables « moto-dops » de Phnom Penh, ces conducteurs de moto-taxis coiffés de casquettes de base-ball, qui assurent la majorité des transports dans une ville chaotique, véritable jungle urbaine. J’ai ainsi passé un après-midi avec Jean-Luc Vilmouth dans le White Building, pendant la première phase de son travail sur cet immeuble. Je lui avais dit : « je te rends visite à l’atelier ! », mais je ne savais pas à quoi m’attendre. J’avais simplement en mémoire quelques plans d’un film de Rithy Panh, Un soir après la guerre, love story mélancolique et amère, où l’on entrevoyait quelques fragments du bâtiment. Je longeais à présent ce long vaisseau de béton blanc, comme dans un travelling, dans l’air chaud du mois de janvier. À notre arrivée, sur le trottoir d’en face, des étudiants de l’université royale des Beaux-Arts dessinaient différentes vues du bâtiment. Ils me montraient alors leurs croquis, qui respectaient le code couleur indiqué par l’artiste : noir (pour le bâti), bleu (pour les tuyaux de canalisation irriguant la façade) et vert (pour les mousses végétales générées par ces évacuations anarchiques). Jean-Luc m’emmena alors à l’intérieur de l’immeuble, en me racontant toutes sortes d’histoires, anecdotes et légendes urbaines qui gravitent autour de ce lieu interlope, endroit de tous les trafics nocturnes.
Pénétrer par l’un de ses porches dans le White Building, c’est entrer dans une autre conception de la ville : celle qui est en devenir à l’échelle de l’explosion urbaine mondiale. « Taudis, demi-taudis et supertaudis, telle est la cité dans la perspective du progrès », a écrit Patrick Geddes. C’est rencontrer des centaines d’individus qui vivent là en communauté dans une grande dureté des rapports inégalitaires entre pauvres : ceux qui habitent dans le bâtiment déversent leurs détritus sur ceux qui vivent dans les baraquements greffés en contrebas. Victime ou héros, le squatteur est le grand symbole humain de la ville du Tiers-monde, nous dit Mike Davis.
La densité vitale de cette unité organique en fait un sujet de travail évident pour Jean-Luc Vilmouth. En articulant une stratégie plastique et documentaire composite, il investit ce bâtiment construit dans les années 1960 par Van Molyvann, disciple du Corbusier et importateur au Cambodge d’une forme de modernité fonctionnaliste et utopique. L’installation The White Building (The Model, The Name, Drawings), 2006, est une transposition maquettaire de l’ambiance de vie qui règne dans la cité. Dans un écho entre le domestique et l’architectural, la structure modulaire et répétitive du bâtiment est restituée par l’assemblage de simples étagères métalliques blanches, sur lesquelles sont disposés néons, plantes vertes, cadres photo et téléviseurs diffusant des images prises sur place par l’artiste. Évocation des installations électriques hasardeuses qui le parcourent, l’inscription lumineuse du nom du bâtiment est donnée par un réseau de fils et d’ampoules, qui miment la plasticité du végétal. Un ensemble de dessins évoque, sous forme de constat interprété, la transformation du bâtiment par cette végétalisation de l’architecture, associée à l’envahissement anarchique de sa façade par un réseau bricolé de tuyaux de PVC. Le bleu du plastique et le vert des végétaux prennent possession des murs blancs comme des tentacules associées.
Le travail de Jean-Luc Vilmouth consiste en une écologie des formes, au sens premier du mot, c’est-à-dire qu’il s’agit pour lui de penser les conditions de coexistence de l’homme et de la nature. Penser l’homme comme un élément de la nature, dans une époque techniciste où le legs de l’histoire des sciences tend à reconduire sans cesse l’ancienne dichotomie entre Nature et Culture, pourtant caduque, qui place le genre humain du côté de la culture du fait de sa prétention à la maîtrise des choses. Les habitants du grand bâtiment blanc l’ont transformé en un organisme qui se végétalise. En se l’appropriant, ils l’ont augmenté en y injectant une énergie de vie impensée par le projet moderniste. L’architecture et ses principes disparaissent pour devenir un écosystème. Il y a là une osmose incroyable entre l’être humain, les animaux, les ordures, le béton et le végétal. Une force et un calme impressionnants dans le déploiement des stratégies de survie. Mais le soleil de Phnom Penh ne peut pas empêcher de voir que vivre dans un bidonville, c’est vivre dans la merde.
Pascal Beausse
« The White Building » (The Model, The Name, Drawings), 2006