2009-2010
40 balançoires en medium noir recouvert de stratifiées rouges, chaînes en acier, dimensions variables.
Production MAC/VAL.
Collection MAC/VAL,
musée d’art contemporain
du Val-de-Marne.
Acquis avec la participation
du FRAM Île-de-France.
Photo © Jacques Faujour.
Notice
Mona Hatoum est une des plus grandes artistes qui soient aujourd’hui. Artiste nomade, le monde est son territoire, elle le parcourt sans cesse, redessinant ses frontières au fil de ses voyages, le domestiquant au fil du temps passé à le parcourir, elle dont la famille a dû apprendre à vivre sur une autre terre que la sienne. Dans son périple incessant, Mona Hatoum a répondu à notre invitation et a passé quelques mois en résidence au MAC/VAL, de novembre 2009 à mai 2010.
Les parents de Mona Hatoum sont originaires d’Haïfa, en Palestine, terre qu’ils ont dû quitter en 1948 en raison du conflit avec Israël. Ils se sont alors installés à Beyrouth, où Mona est née, a grandi et suivi ses études secondaires, en français. Mais c’est l’anglais qu’elle choisit, langue que son père parlait à l’ambassade britannique où il travaillait. En 1975, elle part en vacances à Londres où elle envisageait de faire ses études. Ce sera le cas : la guerre civile du Liban a commencé et elle ne peut rentrer. Toute une histoire familiale marquée au fer rouge par l’exil, les départs, la perte, les souvenirs emmenés ou perdus. Toute une vie à vérifier et à situer sa propre existence, par des performances d’abord, avec son corps (Mona Hatoum est dès lors rattachée à un courant féministe de l’art), puis en rejoignant l’univers symbolique des objets. Avec eux, et par eux, elle entraîne le spectateur dans des expériences sensibles, mais aussi conceptuelles.
L’œuvre de Mona Hatoum touche car elle a de prime abord ce caractère familier et émouvant de ce que l’on (re)connaît, de ce qui fait mémoire. Son vocabulaire plastique est celui du vivant et du vécu, des objets du quotidien, de ce qui nous entoure et nous compose : lits, ustensiles de cuisine, cartes géographiques, oreillers et cheveux en boule… Des objets qui nous touchent et que nous touchons. Avec ce vocabulaire de formes connues, Mona Hatoum nous emporte dans un univers étrange, une terra incognita ; après le temps de la familiarité et des retrouvailles, les objets échappent à leur sens premier et s’élèvent contre l’état des choses. Hors échelle, fabriqués de matériaux étrangers à leur nature initiale, ils nous deviennent méconnaissables ou inconnus, chargés d’une histoire autre.
Parce que le monde est en fusion, parce que les frontières sont artificielles, créations des enjeux géopolitiques qui dominent les hommes, parce que ceux-ci souffrent des ambitions économiques et politiques, parce qu’il y a deux mondes qui s’envisagent et s’affrontent, le Nord et le Sud, l’Occident et l’Orient, Mona Hatoum interroge la situation impossible de l’être humain. Placé sur le fil de l’histoire, l’individu tente de créer son chemin et de s’installer, de se faire une place dans un monde instable.
C’est la situation qu’évoque Suspendu, œuvre unique créée par Mona Hatoum pour le musée. L’artiste dit avoir accepté l’invitation du MAC/VAL car elle retrouve à Vitry des destins individuels résonant avec sa propre histoire familiale, et des destins aujourd’hui retenus dans une architecture dont l’utopie d’autrefois ne rencontre plus en rien la réalité contemporaine. Surtout, Mona Hatoum possède ce désir de créer toujours, et de rencontrer de nouvelles situations, de nouveaux savoir-faire.
Ces destins suspendus, encore en devenir, instables, sont évoqués par une forêt de balançoires qui dessinent dans l’espace une cartographie impossible et mouvante du monde. Chaque assise est gravée du plan d’une capitale ou d’une ville liée à l’origine des nouveaux arrivants. Découpés net dans le bois, les plans représentent par leur tracé autant de stigmates de l’histoire : des plans géométriques et modernes, des plans aux lignes brisées, des plans sans plan… Le contraste avec les chaînes est brutal ; lourdes, épaisses, celles-ci retiennent plus qu’elles n’évoquent l’envol et la liberté. L’assise est ici comme clouée au sol, emprisonnée. Alors que la balançoire, elle-même facteur de vertige, est le signe de l’enfance, du jeu, voire en France de la rencontre amoureuse, elle devient dans cet environnement le symbole du poids des souvenirs et des contraintes à décider de sa vie.
La force de l’œuvre de Mona Hatoum est dans cette implication physique du visiteur qui, sans repères ni boussole, cherche à retrouver le nom des villes, à comprendre cette géographie imaginaire. Mais il cherche aussi à se frayer son propre chemin dans cet univers instable et dangereux qui semble se défaire à peine abordé, invitation, sous couvert du jeu, à vivre l’expérience glaçante de l’exilé.
A.F.