Vidéo, couleur, son, 30 minutes en boucle.
Acquis avec la participation du FRAM Île-de-France
© Adagp, Paris 2007.
Notice
Au milieu des années 1980, parallèlement à la série des « Arrangements », où deux objets, positionnés face à face, se regardent comme un couple amoureux, Ange Leccia réalise des vidéos inspirées de phénomènes naturels ou accidentels mais spectaculaires et reproduits en boucle. L’adolescence est aussi une source d’inspiration lorsqu’il filme la même année une vidéo qui porte le prénom de sa propre fille, Sabatina, et So sad.
Une jeune femme est assise dans sa chambre et chante, probablement un peu faux, sur une chanson d’Elton John, Sorry seems to be the hardest word (1976), qu’on entend derrière la sienne. Elle fait face au spectateur comme à un miroir, chante pour elle sans retenue, seule dans un moment d’intimité. Rien n’est dit, mais on imagine le désarroi d’une rupture amoureuse, une sensibilité féminine à fleur de peau. L’émotion affleure dans les silences, les gestes, les regards, les respirations.
La mise en scène est particulièrement sobre : une jeune actrice filmée en plan américain fixe. L’artiste superpose à l’image filmée une chanson pop de sa jeunesse, qui remplace toute parole. Les genres se mélangent, suscitent un lyrisme et une fascination nostalgique pour l’âge étrange de l’adolescence, oscillant entre fragilité et ouverture vers tous les possibles. Il n’y a pas d’histoire, mais le fil d’une chanson, une fiction allusive qui laisse champ libre à l’imaginaire. Le spectateur, positionné là où pourrait être un miroir, se surprend, pris au jeu, à refléter l’état d’âme de la jeune femme. « Je tiens compte de la part émotive, subjective, à la limite classique de l’œuvre d’art. Je ne veux pas être seulement un “entremetteur” d’éléments, je veux qu’il y ait toujours une part de sentiment » (Ange Leccia).
Cette œuvre-ci est sur le versant sombre et évoque pour l’artiste une vie sans avenir, une défaite morbide, la négation, l’autisme, le suicide. Et, par-dessus tout, le renoncement : chanter sur une chanson, coller à ce qui existe jusqu’à s’oublier soi-même.
I.L.