Néon bleu,
70 x 427 cm,
Collection MAC/VAL,
musée d’art contemporain
du Val-de-Marne
Acquis avec la participation
du FRAM Île-de-France
Photo © Jacques Faujour.
Notice
Imprégné du mouvement punk, de la musique new wave, du rock alternatif, de l’avant-garde alternative et de la contre-culture en général, Claude Lévêque entre à l’École des beaux-arts de Bourges en 1970. À la fin de cette décennie, il s’occupe de la programmation artistique de la Maison de la culture de Nevers, y expose de grandes figures de l’art corporel (Gina Pane, Rudolf Schwarzkogler, Michel Journiac) et organise des concerts et des programmes de cinéma expérimental.
En 1982, il participe pour la première fois à une exposition collective, à la Maison des arts de Créteil avec une installation, Grand Hôtel, qui rencontre l’adhésion immédiate du critique d’art Michel Nuridsany. Il développe par la suite une œuvre polymorphe qui met en scène une déconstruction des codes et références de notre société, par le biais d’objets récupérés. Ses sculptures et ses installations évoquent, tour à tour, les thèmes de l’enfance, du conditionnement idéologique, de la ritualisation du corps, de la privation et de l’aliénation de l’homme, et de toutes les violences et les révoltes qui en découlent. Dans les années 1990, Claude Lévêque se focalise davantage sur des objets reflétant des représentations collectives, mais toujours distanciés, voire désincarnés par le dispositif lumineux, puis s’oriente vers un travail in situ. Il développe des installations immersives, dont les éléments puisés au réel et transfigurés par la lumière et le son forment des dispositifs scénarisés qui convoquent, tout à la fois, imaginaire subjectif et imaginaire collectif. Ces dispositifs rappellent le langage cinématographique, seule la déambulation du spectateur s’est substituée au mouvement des images. Ils interpellent chacune de nos facultés cognitives, sensorielles, affectives, et tous les éléments y concourent pour nous projeter sur une autre scène, celle de l’imaginaire, du jeu, du rêve, du cauchemar.
Acquise par le MAC/VAL en 2005, DATAPANIK, une œuvre in situ créée au musée Juming Taipei de Taïwan en 2004, illustre parfaitement cette démarche. Conçue comme une installation, elle invite à une déambulation à travers un paysage urbain nocturne. De grands immeubles en tissu, animés par le souffle d’un ventilateur et une lumière intimiste éclairant la scène de l’intérieur, évoquent une vision poétique de la banlieue, où se côtoient l’intime et l’universel, le sensuel et le fantomatique, le familier et l’étrange. Le titre de cette installation vient en contrepoint : il renvoie à la panique face aux données (data panik), aux illusions et aux leurres de la société de l’information, tout en faisant référence à un morceau de Père Ubu, légendaire groupe punk-rock de Cleveland, lui-même probablement inspiré du film de science-fiction Panic in Year Zero (End of the World), réalisé en 1968 par Ray Milland.
Au tournant des années 1990-2000, Claude Lévêque tend de plus en plus vers une épuration des formes, une rigueur du geste, un vocabulaire artistique accentuant davantage sa parenté avec le minimalisme, notamment dans sa façon de jouer avec la perception et de privilégier l’expérience. Omniprésente dans son travail, la lumière devient un matériau en soi, avec son volume, son épaisseur, sa couleur, et les écrits de néons, présents dès 1993, prennent de plus en plus d’importance. Si nombre d’artistes, avec lesquels Claude Lévêque partage l’objectif de créer des « états visuels particuliers », ont recours au néon (Alberola, Raysse, Morellet, Buren, Höller, Nauman, Kosuth, Koons et surtout Flavin), la plupart l’utilisent pour détourner des messages publicitaires, des slogans politiques ou pour d’autres jeux de mots. Les néons de Claude Lévêque puisent davantage dans un répertoire de citations, tout à la fois autobiographiques et empruntées à une mythologie contemporaine. Conçus dans l’optique de provoquer des « zones de réactivité », ils servent à créer des espaces poétiques proches du rêve. Et si ces néons n’ont pas de messages à délivrer, ils s’adressent de la façon la plus immédiate au visiteur et le sollicitent, pour ainsi dire, dans les tréfonds de son être.
En 2005, Claude Lévêque réalise pour le MAC/VAL une installation en néon bleu, dont le mot « amertume » – à travers l’écriture tremblée du jeune Léo Carbonnier – communique son ressenti du monde. Amertume s’inscrit dans une série de mots superbement provocants, que l’artiste griffonne en néon de couleur. S’y manifestent, tour à tour, ironie, auto-dépréciation, sentiment d’échec, rage, mélancolie, etc. : Nous sommes heureux, La vie est belle, Vous allez tous mourir, Goût à rien, En finir avec ce monde irréel, Dansez… Ces mots criés comme des contre-slogans rappellent le radicalisme nihiliste du mouvement punk, avec lequel ils partagent un désillusionnement face à l’état du monde. Comme la musique punk, leur ambition est de révéler la contingence de tout un système de références et de processus à l’œuvre malgré nous, pour opérer, espérons-le, une transformation durable de notre perception des choses.
An.B.
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