Marylène Negro

Sept photographies couleur, tirages lambda contrecollés sur aluminium, de haut en bas : 80 x 119 cm, 67 x 100 cm, 46 x 70 cm, 43 x 65 cm, 33 x 50 cm, 60 x 90 cm.
© Photo Jacques Faujour.

Notice

Arpenteuse du monde intérieur, Marylène Negro mène une quête en elle-même et dans son rapport au monde qui l’entoure et auquel elle participe par fragments. Depuis les années 1990, elle interpelle le réel, et l’autre, quelque soit sa forme, pour qu’on lui réponde. Marylène pose des questions. Pour entreprendre ses relations au monde, Marylène Negro met en œuvre toutes sortes de moyens ; elle sollicite ce rapport à l’autre en infiltrant les modes de communication : œuvres sonores, vidéos, photographies, édition de tee-shirts, de tracts. Elle invite les gens à faire ce qu’ils veulent devant la caméra (Ni vu ni connu, 2003, Tokyo), à s’exprimer et à être diffusés sur le toit d’un musée d’Art moderne et contemporain (Viens, 2004, Strasbourg).

Elle inventorie les outils de « communication » (téléphone portable, journal…) en les plaçant en situation, en terminaison des corps (Pratiques, 1999). Elle visite les zoos et cherche à capter le regard des animaux enfermés, dans la vidéo Eux (2001), en « fixant leurs – ses – yeux qui ne peuvent pas la – te – voir » (Xavier Person, in Negro toi-même, Paris, isthme éditions, 2005). Drôle de sujet, être là sans y être vraiment. Être par le regard de l’autre qui ne vous voit pas.

Le regard de l’autre est aussi le sujet de S’en sortir sans sortir, vidéo de 2003. Le voyage devient intérieur. Marylène Negro inaugure un rapport aux objets qui l’entourent et dont elle tente désespérément d’attraper le « regard » : les deux trous d’une prise électrique deviennent une relation. « Les regards, en effet, elle s’épuise à les chercher, à vouloir créer ce lieu improbable entre son regard à elle, l’artiste, et le monde. Car elle sait que cette confrontation seule est à même de saisir le réel. » (Jean-Marc Huitorel, in Negro toi-même, op. cit.)

Elle poursuit ce voyage immobile et cet étrange rapport avec les choses, présence physique autour de soi, dans les sept photographies Ici. Sept fragments de vie, morceaux de l’artiste aux prises avec les objets qui l’entourent. Marylène Negro s’ancre dans ce monde inanimé. Ses contacts aux objets sont physiques, charnels. Elle se fond, se désincarne, puis pose un regard lointain et distancié sur ce nouveau tout. Et son propre corps, sa présence même s’abstrait du monde car, dans ce rapport rapproché aux objets, tout devient abstrait.

Marylène Negro parcourt aujourd’hui d’autres espaces, des paysages sauvages et déserts, mais que ce soit en regardant à la terrasse d’un café ou dans un zoo une girafe, ou encore en restant enfermée dans son appartement, c’est toujours un voyage intérieur, un grand voyage qu’elle effectue. Elle traverse l’enfermement expérimenté, et découvre la solitude à l’épreuve.

A.F.

C’est pas beau de critiquer ?

Carte blanche au critique d’art qui nous offre un texte personnel, subjectif, amusé, distancié, poétique… critique sur l’œuvre de son choix dans la collection du MAC/VAL. C’est pas beau de critiquer ? Une collection de « commentaires » en partenariat avec l’AICA / Association Internationale des Critiques d’Art.

Marylène NEGRO, Ici, 2005

« L’horizon imaginaire qui anime toute entreprise photographique est le désir de constituer une image où se donne à voir sa propre présence. »1

V idéos, photographies, œuvres sonores, invitations sous la forme d’actions ou de tracts sont les médiums récurrents utilisés par Marylène Negro, autant de propositions qui mettent en tension, en lien l’espace privé et l’espace public : doux murmure, tendre délicatesse en donnant un peu de soi, un peu de cette part de l’intime façonnée de micro événements tout en recherchant l’autre, cet inconnu qui acceptera de se livrer, d’offrir, lui aussi, un indice de sa personne. Chercher dans l’autre, ce que l’on perçoit de soi ou saisir de soi, ce qui peut être de l’autre et inversement… Cette perpétuelle alternance qui se traduit par l’équilibre fragile d’un double balancier entre le dedans et le dehors, le privé et le public, le personnel et l’anonyme, le banal et l’extraordinaire, le ici et le là-bas, noue ce lien indéfectible entre art et vie ou comment « l’art est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art »2.

« Ici » est un ensemble de sept photographies ne représentant aucun espace particulier : titre à la forme générique d’un lieu énigmatique, peut-être même utopique. Décalage entre l’énoncé potentiel des images de Marylène Negro et ce qu’elles suggèrent : une présence, d’un quelque chose qui, sans aucun doute, nous échappe, d’un ici, d’un temps impérieux, d’une nécessité de donner existence, de rendre corps à de petits rien. Fragments de textures, d’objets, de gestes, et d’un sentiment diffus qui ne raconte rien en soi, laissant supposer un hors champ, un imaginaire, celui d’un univers, peut-être celui de l’artiste.

Il s’agirait d’un voyage intérieur où la photographie s’est substituée au regard vague de l’oeil venant scruter les détails d’un corps, d’une légère impulsion d’un pied dans l’espace, celui d’un coude ou d’un genou replié au sol tandis que les autres images sont la représentation de fragments doux et sensibles de tissus, de textures ramenant une perception de mélancolie douce et sensuelle. Le plaid, la couverture, le pli d’un pull blanc à la commissure du bras sont à la frontière d’une abstraction composée de façon presque géométrique qui perturbe les repères d’espace, de temps et de lieu. L’image est plate, elle est devenue surface, peau, écran.
Le regard cadré, serré laisse voir les imperceptibles détails du liseré, de la bordure, de la fibre et de son aspect peluché, les différences de matière entre le blanc du mur et celui du pull laiteux qui deviennent autant de détails délicats, nous plaçant dans cet entre-deux chère à Marylène Negro ; elle nous livre une part de son intimité, peut-être même de son corps fragmenté, de son environnement immédiat mais suffisamment dissimulé que nous nous trouvons les témoins d’un secret qu’elle tente de nous dévoiler comme un indice d’elle-même. À la manière d’une rêverie éveillée, d’une échappée du monde réel, l’artiste provoque un déplacement qui incarne le merveilleux que peut être le banal transcendé. Les images ont l’ambiguïté permanente d’être tour à tour proches et lointaines, familières et étrangères, posées et suspendues, bavardes et silencieuses, volontairement indéterminées car le monde est condamné à rester de toutes les façons invisible.
Traces ou empruntes d’elle ? Fragments ou détails d’elle ?
Peau ou matière d’elle ?
Cet ensemble de photographie constitue une forme de phrasé sensible comme si chaque image était une part d’elle à jamais incomplète, une parenthèse de vie ; corps recouvert, gestes esquissés, objets feutrés et moelleux du quotidien incarnent un parcours, une déambulation où l’espace mentale et la réalité physique du monde se croisent pour laisser notre imaginaire vagabonder Ici ou Là.

Estelle Pagès

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1Serge Tisseron, «  Le mystère de la chambre claire, photographie et inconscient  » Paris, Édition les belles lettres, Archimbaud, 1996

2Citation de Robert Filliou